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En 2009, ce collègue arrivant dans le service où je travaille, et apprenant au cours de discussions que je m’intéressais à la généalogie et à la déportation de la Commune, me montre les photos qu’il avait prises à l’île des Pins. Je lui fais la proposition de regarder dans le livre de Roger Pérennès ce qui était dit sur cet Ernest Dormoy, puis dans le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français, publié sous la direction de Jean Maitron. A la lecture de la notice de ce second ouvrage le parcours de ce déporté me parut si intéressant, que je décidais de pousser plus loin les investigations. Pour finir je décidais de ne pas perdre le fruit de ces recherches, et d’écrire un article afin d’agrémenter la partie consacrée à la déportation des communards sur ce site.
Voici donc en guise d’introduction la notice du "Maitron" qui attisa ma curiosité :
Ernest Gustave André DORMOY. Né le 26 septembre 1846 à Laury, arrondissement d’Orléans (Loiret) ; demeurant à Paris, 155 rue de Bercy (XIIème arrondissement) ; célibataire ; dessinateur en chemins de fer. Engagé volontaire en 1863, au 3e régiment de Zouaves ; après avoir fait les campagnes d’Afrique et du Mexique, il fit la guerre contre la Prusse, fut blessé à Reichshoffen, reçut la Légion d’honneur et fut fait sous-lieutenant, le 16 novembre 1870 ; le 23 décembre, il était mis en non-activité par retrait d’emploi pour indiscipline. Le 23 avril, Cluseret le nommait capitaine de cavalerie ; le 8 mai, il était révoqué par Rossel ; Cluseret, à son retour au pouvoir, le nomma major d’une légion de cavalerie ; il fut révoqué de nouveau, le 19 mai, par Delescluze "à cause de son peu de zèle à servir la Commune", prétendit-il ensuite. Arrêté le 28 mai, il s’évada le 22 juillet de la prison de Versailles et fut arrêté à Bellegarde (Ain) le 1er août. Le 4ème Conseil de Guerre le condamna, le 14 septembre 1871, à la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire, peine commuée le 25 mai 1872, en déportation simple, mais il mourut le 30 janvier 1877 en déportation, alors que lui parvenait de Londres une longue lettre d’anniversaire écrite par sa fiancée.
Mise au point
Il convient avant tout
de corriger deux petites erreurs, la première concernant son lieu de naissance,
et la seconde sa date de décès. En effet il n’existe aucune commune du nom de
Laury dans le Loiret, ni dans le reste du pays d’ailleurs. Par contre, on
trouve dans l’arrondissement d’Orléans, dans le Loiret, une petite commune du
nom de Loury. D’autre part, il semblerait qu’Ernest Dormoy ne soit pas né à
Loury, mais à Vennecy, autre village situé entre Loury et Orléans, comme le
prouve entre autre l’inscription sur son état signalétique et des services. Enfin
l’acte de décès, que l’on peut trouver dans le dossier de "bagnard"
au CAOM à Aix-en-Provence, mentionne la date du 30 juillet 1877. Cette seconde
erreur provient certainement d’une mauvaise lecture de la date inscrite sur la
tombe, le "et" de juillet pouvant être lu "er"
pour janvier.
Il faut enfin
noter que dans presque toutes les pièces de procédure de son jugement,
Ernest Dormoy est dit affesté au 1er régiment de Tirailleurs Algériens,
alors que d'après son état signalétique et des services, il n'a jamais fait partie de cette unité, mais du 2ème régiment.
Enfin dernière précision, l'inscription de sa tombe est
gravée sur la base d'une colonne tronquée, qui fait fugure de stèle. Il
semblerait que ce soit la Famille d'Ernest Dormoy (je n'en ai pas la
preuve actuellement, mais c'est ce qui se dit) qui ait payé et fait
ériger ce monument funéraire au cimetière de l'Île des Pins.
Ernest Gustave André Dormoy, mais nous l’appelleront Ernest par commodité est donc né le 26 septembre 1846 (voir l'acte page 1, page 2), à onze heures du matin, au domicile parental, à Vennecy, petite commune du Loiret située dans l’arrondissement d’Orléans. Il est fils de Philippe Dormoy, âgé de 49 ans, né vers 1797 à Paris (18ème arrdt) et décédé le 18 janvier 1870 à Loury, et d’Elisabeth Poisson, âgée de 24 ans, née le 22 mai 1821 à Vennecy. Philippe est garde brigadier des Forest de l'Etat, et Elisabeth est domestique. Ils sont domiciliés à Vennecy, quartier des Quatre coins. Il a pour grand-père paternel Jean-Baptiste Dormoy, traiteur, décédé le 13 avril 1826 à Belleville, commune non encore rattachée à Paris, époux de Marie-Denise Monnoury, décédée le 22 avril 1840 à Belleville. Ernest et l’aîné de cinq enfants. Il a deux frères, Marc, marié le 13 août 1889 à Rebréchien (45) avec Clémence Desforges, et Armand Julien, né le 8 décembre 1857 à Loury, marchand de vaches, qui épouse le 14 janvier 1879 à Loury Caroline Eudoxie Huguet.
Carrière militaire
Ernest contracte un engagement volontaire le 19 octobre 1863 et est affecté comme simple soldat le 1er novembre au 3ème régiment de Zouaves sous le matricule 3823. Le 30 octobre 1863, il part pour l’Afrique. Le 6 janvier 1865 il est Zouaves de 1ère classe, puis le 28 février, il est nommé caporal, puis caporal-fourrier le 8 mai 1865, et enfin sergent-fourrier le 27 août de la même année. Le 1er octobre 1865 prends fin sa première campagne africaine et le lendemain, débute pour lui la campagne du Mexique. Cette nouvelle campagne, au cours de laquelle il obtient la Médaille du Mexique, dure jusqu’au 14 avril 1867. Le lendemain, il entame sa deuxième campagne africaine. Le 21 mai 1868, on le retrouve comme simple soldat au 2ème régiment de Tirailleurs Algériens. Le 1er octobre 1869 prends fin sa deuxième campagne africaine.
En 1870 et 1871, Ernest participe à la campagne contre l’Allemagne. Le 4 août 1870, à la bataille de Wissembourg, qui fut la première des batailles de la Guerre du 1870, il est blessé d’un coup de feu à la jambe droite. Un rapport figurant dans son dossier de demande de grâce fait état de la bataille de Reischoffen le 6 août 1871. Sa bravoure au combat et cette blessure lui valent d’être fait chevalier de la Légion d’honneur. Par décision du 24 janvier 1870, il obtient en outre une récompense impériale sous la forme d’une médaille d’Honneur en argent. Le 8 septembre 1870, il est détaché de son régiment au profit du 28ème régiment de Marche des Tirailleurs Algériens, 2ème compagnie sous le matricule 5616, où il est nommé sergent fourrier le 1er octobre, puis sergent-major le 5 du même mois. Le 1erème régiment d’Infanterie de Ligne, avec le même grade de sergent-major. Ernest est nommé sous-lieutenant dans le même régiment le 16 novembre, puis détaché au 4ème régiment de Zouaves le 22 novembre. Enfin le 23 décembre, il est placé en non-activité par retrait d’emploi, après un rapport au ministre de la Guerre fait par le chef du bureau de l’Infanterie, en date du 18 décembre 1870, et faisant suite à une demande, transmise par le Gouverneur de Paris, et formulée par le général commandant la 2ème Armée. novembre, il est affecté au 128
Selon ce rapport, Ernest, âgé de seulement 24 ans et compte 7 ans de service et 8 campagnes. Sous-officier du 3ème Zouaves, puis passé comme simple tirailleur dans la portion du 2ème régiment de tirailleurs Algériens, a été incorporé dans le 128ème de Ligne. En l’espace de 6 semaines, du 1er octobre au 16 novembre 1870, il a obtenu les grades de sergent-fourrier, de sergent-major et de sous-lieutenant, pour très beaux services de guerre, actif et vigoureux, méritant. A peine nommé dans ce dernier grade, il est puni de 30 jours d’arrêts simples, pour une absence illégale de 36 heures. Il viole ses arrêts pour se rendre à Paris, et s’est fait ramasser complètement ivre sur la voie publique. Il est alors écroué à la prison militaire. Il lui était en outre reproché de fréquenter les cabarets sans respect pour son uniforme et alors qu’il est sergent-major. Ce rapport demande donc qu’Ernest Dormoy qui n’était pas digne d’être élevé au grade de sous-lieutenant soit mis en non-activité par retrait d’emploi.
La Commune
Placé donc en
non-activité, terme élégant pour dire qu’il est "viré" de l’Armée,
et se trouvant à Paris au moment de la Commune, Ernest s’est donné complètement
à cette cause, selon un rapport du 21 juin 1871 faisant partie des pièces de
son jugement par le 4ème Conseil de Guerre de la 1ère
Division Militaire. Il a servi volontairement la Commune du 23 avril au 20 mai
1871. Cluseret le nomme capitaine de Cavalerie,
mais
Rossel le révoque le 6
mai. De retour dans les instances de la Commune, Cluseret nomme Ernest major de
la Légion de Cavalerie en formation. Cette unité n’aurait jamais été
entièrement organisée. Au bout de quelques jours il est de nouveau au grade de
capitaine. C’est en cette qualité qu’il assiste, à l’occasion de son service, à
la chute de
Première arrestation
Le 28 mai 1871, Ernest est arrêté en compagnie de Francine Octavie Constance Chenaux, née le 27 juin 1749, à Gallion (ou Morge selon les sources), dans le canton de Vaux en Suisse. Elle est la fille de Jules et d’Anne Nicolet, ouvrière, et demeure 22 rue Cler à Paris, dans le VIIème arrondissement. Cette femme avec laquelle il vivait depuis 9 mois se prénommait elle-même Louise. Selon le rapport de l’inspecteur de Police Féau, ils s’étaient réfugiés dans une maison sise 25 rue de Bercy Saint-Antoine.
Au domicile
d’Ernest, sis 33 rue de
Ils sont placés par l’inspecteur Féau à disposition du commissaire de Police du 5ème, Mr Entzwiller. Francine est soupçonnée de complicité de détournement des valeurs et objets mobiliers saisi au domicile d’Ernest, inculpation contre laquelle elle proteste. Ils sont tous deux placés en détention, à disposition du Grand Prévôt du Luxembourg. Francine est internée à Paris. Ernest quant à lui est envoyé au dépôt de Saint-Cyr.
Concernant les sommes d’argent trouvées, Ernest déclare avoir reçu, en sa qualité de Major de Cavalerie, un somme de 1100 frcs pour le paiement des troupes, et que le reste lui appartenait, ainsi que les deux montres en or, les médailles et tous les effets ou objets saisis. Il affirme en outre avoir été contraint le 23 avril de prendre du service pour le compte de la Commune, service qu’il avait cessé le 20 mai, avant-veille de l’entrée des troupes versaillaises dans Paris.
Un rapport du 28
juin 1871, émanant du commissaire de Police du quartier de Bercy, signale
qu’Ernest Dormoy n’a séjourné au 155 rue de Bercy que deux jours entre les 21
et 28 mai, est qu’il est inscrit sur le livre de Police sous le nom de Dormoy Ernest,
21 ans, employé, né à Loury (Loiret), venant du 32 de
Un rapport de
Gendarmerie de la Somme, daté du 31 juillet 1871 fait état qu’Ernest Dormoy occupait
avec sa concubine un chambre, à Paris, à l’hôtel de l’Alma, situé 32 passage
Saint-Pierre, au Gros Caillou, près de l’Ecole Militaire. Cette femme, nommée
Francine, avait été arrêtée en même temps que lui et internée au Luxembourg à
Paris, puis relaxée 3 jours après. Aussitôt libérée, elle quitte l’hôtel de
l’Alma, pour une chambre à l’hôtel Saint-Paul, situé rue du Champ de Mars,
entre l’avenue Basquet et
L’Evasion
Ernest Dormoy est écroué à la Maison de Justice Militaire de Versailles, sous le n° 730, le 13 juin 1871, venant du dépôt de prisonniers de Saint-Cyr.
Dans un rapport
daté du 22 juillet 1871, le chef de bataillon commandant
Le 30 juillet, un rapport de Gendarmerie du Loiret fait état que notre fuyard s’est rendu dans le Loiret chez sa mère, demeurant à Loury, le 25 juillet à 18h00, venant d’Orléans, et qu’il en était reparti le lendemain matin à 7h00 pour Orléans, ville où il aurait pris le train à 15H00. Il aurait dit dans son village qu’il était passé en Conseil de Guerre et qu’il avait été acquitté, et qu’il se rendait à Melhiana, en Afrique, pour conduire un détachement, qu’il avait quitté son unité en route pour venir voir sa mère, et qu’il devait la rejoindre à Marseille. Ce rapport précise que lors de son passage à Loury, Ernest était vêtu d’un paletot court à carreaux raies blanches sur fond gris, collet en velours, pantalon gris avec une petite bande, chemise de flanelle rouge, chapeau noir rond, bas de forme, bottes de fatigues, moustache noire, porte le ruban de la Légion d’honneur à la boutonnière.
Seconde arrestation
Ernest est de
nouveau arrêté le 1er août 1871, à
Bellegarde-sur-Valserine dans le département de l’Ain, par le commissaire spécial de Police de la ville, alors
qu’il tentait de passer la frontière
avec
Ramené à
Versailles avec ce qui a été trouvé sur lui, il est écroué à la
caserne de
Noailles à Versailles. Interrogé, il reconnait les faits, mais déclare que les
effets en question lui ont été remis volontairement quelques jours avant par ses
codétenus, hormis le képi, ou bien qu’il les a trouvés sur la planche de la chambre
où tous étaient détenus. Le sous-lieutenant Klotz reconnait même avoir donné à
Ernest un vieux titre de permission pour que ce dernier, qui dessinant beaucoup
pout passer le temps, puisse copier la vignette y figurant. Ce fait est
confirmé par deux autres codétenus. Pour l’évasion, Ernest prétend que le barreau
était déjà descellé et qu’il n’avait eu
rien à faire pour cela. D’ailleurs aucun barreau ne tenait, et il n’y avait
qu’à pousser. Sur sa nomination de capitaine pour le compte de la Commune,
il déclare avoir été nommé malgré moi
capitaine d’un escadron qui n’a jamais marché et qui n’a d’ailleurs jamais été
formé complètement ; c’était le 3ème escadron de la Garde
nationale. Sur sa nomination au grade de major : J’avais été révoqué
le 8 mai de mon grade de capitaine, et on m’a
encore malgré moi, nommé major de
Le Jugement
Ernest Dormoy, domicilié 155 rue de Bercy, au faubourg Saint-Antoine à Paris, qui n’a aucun antécédent judiciaire, est jugé et condamné le 14 septembre 1871 par le 4ème Conseil de Guerre de la 1ère Division Militaire séant à Versailles, à la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire. Lors de son jugement (page 1, page 2, page 3, page 4), il lui est reproché, outre sa participation à l’Insurrection de s’être, le 22 juillet 1871 vers 21h30, évadé de la prison où il était détenu, en descellant le barreau d’une fenêtre. Il aurait dans sa fuite emporté la vareuse d’un nommé Munier, le pantalon d’un nommé Renault, le képi d’un nommé Serres, une permission au nom de Klotz, et un livret de troupe au nom d’Imbault, soldat de garde à la prison, sans qu’il soit établi que l’un ou l’autre de ces individus aient sciemment favorisé l’évasion. Le jugement, confirmé en révision le 27 octobre 1871, déclare en outre qu’il cesse de faire partie de l’ordre de la Légion d’honneur et de la médaille du Mexique et des autres qu’il pourrait avoir, pour participation à l’Insurrection de Paris. Il est reconnu coupable d’attentat ayant pout but de détruire ou de changer le Gouvernement, d’avoir exercé un commandement dans des bandes armées, d’attentat ayant pour but de porter le massacre, le pillage et la dévastation dans une ou plusieurs communes, d’évasion par bris de prison de la maison d’arrêt où il était détenu. Il est par contre reconnu non coupable d’avoir le 22 juillet 1871 frauduleusement soustrait au préjudice d’autres détenus divers effets d’habillement, ainsi qu’un livret, une feuille de route et une permission.
Suite à ce jugement, la dégradation militaire est prononcée à Versailles (à la parade), le 11 novembre 1871. Ernest est rayé de l’ordre de la Légion d’honneur et de la médaille commémorative du Mexique par arrêté du Conseil de l’ordre le 18 décembre 1871. Par décision du 25 mai 1872, sa peine de déportation en enceinte fortifiée est commuée en déportation simple.
La déportation
Interné au dépôt
de Saint-Martin de Ré le 16 mai 1872, comme le prouve son registre
d'écrou (page 1,
page 2), Ernest Dormoy
embarque le 1er janvier 1873
sur le transport à vapeur l’Orne,
à destination de
Ernest est
débarqué à l’île des Pins le 11 mai 1873. Le 31 décembre de la même, il
embarque sur le Cher, en permission provisoire le même jour, puis est autorisé
à habiter
D’après une note du
21 août 1876 figurant dans son dossier de demande de grâce, il n’a fait l’objet
d’aucune punition depuis son arrivée en
Calédonie. Sa conduite, au point de vue de l’observation des règlements est
donc bonne ; il se montre strictement respectueux de
Sa mère ayant
adressé au ministre de la Justice une demande de grâce en date du 22 mars 1877,
le ministère de la Justice adresse une note au ministère des Colonies pour
savoir si Ernest Dormoy, qui fait l’objet d’un recours en grâce, est disposé à faire
lui-même appel à la
clémence du Gouvernement. Ce dernier formule donc une demande grâce au
Président de
La fin
Ernest Gustave André Dormoy, matricule n° 1839, 2ème section, déportation simple, décède le 30 juillet 1877 à 6h00, à l’hôpital de l’île des Pins, d’une cyrrhose du foie (Voir acte page 1, page 2).
L’acte est
officialisé par le tribunal de 1ère Instance de Nouméa en date du 8
août 1877. Le ministère de la Marine et
des Colonies n’est avisé de ce décès qu’avec le courrier de juin 1877. Le 26
septembre, jour de l’anniversaire d’Ernest, Louise Chenaux lui envoyait depuis
Londres, une longue lettre pleine d’amour.
Un document,
rédigé par les aumôniers de la déportation et du bagne, relate
chronologiquement pour les prisonniers et le personnel de surveillance que les
prêtres ont pu accompagner religieusement (et une partie des autres) les morts
survenues à l’île des Pins entre 1872 et 1885. On trouve dans ce document la mention
des prestations sacramentelles dispensées ou leur absence, et parfois d’autres
circonstances ayant entouré le décès. Ce document donne ainsi un aperçu du
nombre de communards et de leurs proches, femmes et enfants, qui sont morts en
déportation dans ce lieu lointain, et ont eu soit le courage, soit la faiblesse
de retourner vers la religion à la fin de leur vie, supportant que leur mémoire
soit méprisée pour cela par leur entourage. L’administration des derniers
sacrements représentaient en effet un enjeu important. D’un côté les communards
pour la plus part anticléricaux et qui devaient rester solidaires et
irréductibles envers ce qu’ils percevaient comme une tentative de récupération
religieuse. Pour s’en prémunir, ils faisaient signer ce que le clergé appelait
« l’infâme billet ». De l’autre côté, les prêtres qui tentaient au
moyen des sacrements d’arracher à une damnation certaine les mourants condamnés
pour leur participation à
Ernest est ainsi inhumé
le 31 juillet à 7 heures, à l’île des Pins, au cimetière d’Uro,
la 6ème commune comme l’appelait les déportés, tombe n° 179, à l'issue d'une cérémonie
religieuse. A la fin de cette cérémonie, Jules Renard prononça les
paroles suivantes :
Messieurs,
J'ai une mission bien triste à remplir aujoud'hui, celle de dire le
dernier adieu à un camarade, à un ami qui, il y a quelques jours
encore, vivait de notre vie, partageait nos misères et nos espérances.
Dormoy n'est plus. La mort, qui depuis quelques temps s'acharne contre
nous, l'a ravi à ses occupations, à ses compagnons d'exil, à sa vieille
mère qui nourrit au fond du cœur la pensée de le revoir, à une fiancée
chérie qui, pendant trois mois encore, va lui adresser des lettres
affectueuses que le pauvre garçon ne lira jamais.
Je n'ai pas à vous dire, Messieurs, quel fut Dormoy dans la
déportation; vous viviez à ses côtés et vous avez pu vous rendre
compte par vous-même de son bon cœur, de son grnd sens pratique, de
ses aptitudes multiples, en un mot de toutes ces sérieuses qualités
que, pour ma part, je lui ai connues. Mais ce que quelques-uns d'entre
vous ignorent peut-être, c'est que la paix de 1871, cette paix qui fit
frémir tous les cœurs patriotes, avait trouvé Dormoy lieutenant et
décoré. Il avait donc servi son pays en brave et loyal soldat, marchant
droit au devoir, sans s'inquiéter si d'autres - un Bazaine, par exemple
- ourdissaient la trame honteuse des capitulations et des trahisons.
Les événements de mars 1871 éclatèrent; comme
patriote, Dormoy était blessé au cœur; comme républicain, il crut la
République en danger. Ces deux mobiles suffirent à l'amener à Paris. Je ne puis
me permettre ici d'apprécier ses actes pendant cette période : il suffît que je
les indique. La Commune vaincue, Dormoy tomba avec elle, fut condamné, dégradé
et déporté à six mille lieues de son pays.
Les médecins vous diront le nom scientifique de la maladie dont il est mort;
ils iront même jusqu'à préciser les causes de cette maladie terrible. Cela
rentre dans leur domaine et je n'y trouve rien à redire. Mais il y a aussi des
causes morales qu'à mon tour je puis faire valoir et qui ont dû, sans aucun
doute, précipiter la fin de notre malheureux ami. Oui, le jour où il fut
dégradé publiquement sur la place de Versailles, le jour où, en présence de ses
anciens compagnons d'armes, on lui arracha la croix d'honneur qu'il portait sur
la poitrine, le jour où l'on brisa cette épée avec laquelle il avait si
vaillamment combattu à Wissembourg - ce jour-là, une blessure secrète lui fut
faite au cœur. Et puis les longues années passées dans l'exil, dans
l'isolement, avec cette sinistre pensée des rêves d'avenir brisés. Que dirai-je
encore? L'oubli, l'abandon, les privations, les humiliations, les misères
contre lesquelles il faut que nous raidissions chaque jour, toutes ces sources
d'amertume n'avaient-elles pas aussi contribué à le miner et à le décourager.
Il vivait de cette vie anormale et sans but que nous menons pour la plupart et
qui trop souvent nous laisse glisser sur la pente fatale des témérités et des imprudences,
quand un jour, le corps fatigué, le moral atteint, il se vit dans l'obligation
de monter à l'hôpital. Dès lors la mort marcha vers lui à grands pas, et,
malgré la vigilance et la sollicitude des médecins, l'eut bientôt saisi de sa
main glacée.
Vous avez voulu, Messieurs, que nous représentions à cette heure, auprès de
notre infortuné camarade, sa famille et ses amis absents. Pauvre Dormoy! C'est en leur nom que nous
t'adressons du fond du cœur,
le suprême, l'éternel adieu!
Par lettre du 26 octobre
(page 1
page 2),
écrite à Apples, Louise demande au ministre de la Marine et des Colonies, des
nouvelles sur le retour d’Ernest, son fiancé, dont la demande de recours est
arrivée en août, et à laquelle le
Gouvernement y avait mis de bonne note pour la réduction de sa peine. Le 9
novembre 1877, un courrier
émanant du 3ème Bureau du Ministère des
Colonies à Paris avise Mademoiselle Louise Chenaux, demeurant à Apples sur
Morge, canton de Vaux en Suisse, du décès de son fiancé. L’acte est aussi
transmis
au maire de la commune de Loury dans le Loiret le 13 juillet 1878, afin qu’il
soit adressé à la mère d’Ernest.
Dans son ouvrage plublié en 1880 à
Amiens, Jules Renard donne le texte d'une lettre qu'il à adressée à
Mademoiselle L. C., le 1er août 1877 depuis l'île des Pins :
Mademoiselle,
Il y a des missions biens délicates et bien pénibles, et j'ai besoin,
avant de remplir celle qui m'incombe en ce moment, de faire appel à
tout ce qu'il y a de courage et d'abnégation dans votre coeur. Votre
cher fiancé, celui qui est resté digne de la grande affection que vous
lui avez vouée, est tombé malade et a dû entrer à l'hôpital le 26 juin
dernier. Depuis longtemps déjà, il éprouvait des malaises et mangeait à
peine. Il ne vous en a sans doute jamais parlé, tant il avait peur de
vous inquiéter, tant il craignait de vous faire souffrir de ses
souffrances! Le pauvre garçon ! Vous ne saurez jamais combien il vous a
aimée...
J'ai à peine la force d'en dire davantage, et cependant c'est dans le
but de vous consoler, de vous fortifier, d'élever votre âme à la
hauteur du malheur qui vient de vous frapper, que je prends la
respectueuse liberté de vous écrire. Ah! si vous eussiez été témoin des
larmes que sa mort a fait répandre, si vous eussiez vu se dérouler le
long cortège des amis qui étaient venus de tous les coins de l'île pour
lui rendre les derniers devoirs... oui toutes ces preuves d'affection
et de regrets, mieux que de veines paroles, eussent adouci votre
douleur.
C'est le 30 juillet, à six heures et demie du matin, que votre bien
aimé a rendu le dernier soupir. Je l'avais vu dans l'après-midi du jour
précédent. Il avait conservé toutes ses facultés et nous avions causé
comme à l'ordinaire, mais pas longtemps, parce qu'il se sentait d'une
faiblesse extrême. Je lui ai demandé, dans ce dernier entretien, s'il
voulait que je fisse une lettre pour vous, qu'il eût signée. Il éprouva
comme un serrement de coeur à la pensée du mal que vous ferait la
nouvelle de la gravité de son état, et dit : "Non, non, cela lui ferait
trop de peine."
Ses obsèques eurent lieu le 31, à sept heures du matin. Au moment où le
corps sortit de l'église, nous aperçûmes M. le capitaine de génie Kay,
qui avit tenu à honorer par sa présence la mémoire de notre pauvre
ami.C'était la plus haute marque de sympathie qu'il pût lui donner;
nous en avons été touchés et, pour mon compte, je vous prie de garder e
nom de cet officier dans votre mémoire, car c'est celui d'un homme de
coeur.
Des dispositions vont être prises pour que toute votre correspondance
vous soit retournée ainsi que la bague et le mouchoir blanc brodé. Je
vous envoie, de mon côté, une mèche de cheveux qui sera probablement
votre plus cher souvenir. Vous trouverez également ci-jointes les
quelques paroles d'adieu que j'ai prononcées dans le cimetière, après
l'achèvement de la cérémonie religieuse.
Voilà ma mission remplie, Mademoiselle. Je ne vux plus y ajouter qu'un
mot. Au nom de votre Ernest bien-aimé, ne désespérez pas; supportez
courageusement cette cruelle épreuve et veuillez agréer l'epression de
mes sentiments les plus rescpectueux et les plus dévoués.
Jules renard.
L'histoire ne dit pas si cette lettre est effectivement parvenue à sa
destinatrice, ou bien si elle fut retenue par la censure...
Une lettre du 19 mai 1879, portant la signature du ministre de la Guerre, et adressée au Garde des Sceaux au sujet de la demande de grâce formulée par Ernest Dormoy, stipule que d’après les faits relevés à l’encontre de ce dernier, il estime qu’il y a lieu d’ajourner toute nouvelle mesure de d’indulgence à son égard jusqu’après le 5 juin prochain. Cette lettre porte en marge la mention décédé, puis classé. L’intention n’était donc pas d’accorder une issue favorable à ce recours…
Sources :
-- Service Historique de la Défense 8J28 4ème
Conseil de Guerre, et dossier d’officier 5Ye20307.
-- Archives Nationales, dossier de demande de grâce BB24/735
et dossier Légion d’Honneur LH793/30.
-- Archives d’Outre-mer, dossier individuel H78 Colonies et
registre matricule 78MIOM/563.
-- Archives de la Préfecture de Police de Paris,
Bibliothèque n° 167 « Missel des Communards ».
-- Archives Départementales de Charente-Maritime, cote 2Y77.
-- Registres d'état-civil de la commune de Vennecy (45), cote EC 4698 AD Loiret.
-- Déportés et Forçats de la Commune : de Belleville à
Nouméa, par Roger Pérennès, Nantes, Ouest Editions, 1991.
-- Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français,
publié sous la direction de Jean Maitron, vol 1864-1871, tome 5 Car à Ey, page
364.
--
-- Aumônerie de la Commune et du Bagne Iles des Pins,
1872-1885, document inédit présenté par Jean-Marie Kohler sur le site http://www.recherche-plurielle.net.
--
-- Site http://gw3.geneanet.org/cveve
pour la partie généalogie.
-- Lettres inédites d'un amnistié
Crédits photographiques :
-- Photo Alain Beney pour la tombe d’Ernest Dormoy.
-- Numérisations archives Bernard Guinard.
-- Site http://digital.library.northwestern.edu pour les portraits d’Ernest Dormoy et Cluseret.
-- Archives de la Préfecture de Police, Bibliothèque n° 167
« Missel des communards » pour le second portrait d’Ernest Dormoy.
-- Des Galères au Bagne, par Pierre-Philippe Robert, collection Mémoire et Société, éditions CMD.
-- Site http://surlestracesdecook.blogspot.com/ pour le cimetière des déportés.
-- Site http://www.coppoweb.com/merson/chroniques/fr.vendome.php pour la chute de la colonne Vendôme.
-- Site http://dossiersmarine.free.fr:fs.html pour la photo de l'Orne.
-- Site http://club.doctissimo.fr/smenier/ pour l'aire d'embarquement.
-- Site http://louisrossel.blogspirit.com/ pour la photo de Rossel.
-- Site https://albumphotosvoyages.fr/news/cimetiere-des-communards-de-paris-a-l-ile-des-pins pour la photo de l'entrée du cimetière.
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