La Libération de Paris racontée par Marguerite
VARCOLLIER
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Cet épisode de la fin l’occupation allemande à Paris, de la libération de la ville, puis du mois qui l’a suivi était adressé à Marcelle GRAS, ma grand-mère paternelle, par Marguerite Varcollier (voir sa fiche), que je n’ai connue que sous le nom de « Tante Guisette ». C’est apparemment ma grand-mère qui a dactylographié les différentes lettres qui composaient ce récit. En effet, M et J, cités en tout début de la première lettre sont Marcelle, ma Grand-Mère, et Jacques, mon Père. Quant à Roger, dont il est question, est mon oncle.
Paris le 15 août 1944
M et J chéris, il y a longtemps que nous n’avons eu de vos nouvelles, et Maman s’inquiète. Il y a peut-être des lettres qui ne sont pas arrivées. Reine est sans nouvelles de Dijon ; Il y a une lettre sur la bonne arrivée de laquelle Maman a de particulières inquiétudes : Melle de Lavérine a emporté chez elle une lettre dictée par Maman pour y joindre un mot destiné à ma tante et laissée poche restante… Cette pauvre Melle de Lavérine a été terriblement secouée, vous vous en doutez. Elle est bien courageuse. Outre son neveu, sa nièce et leurs deux filles, elle a perdu tout son bien là-bas. Elle a à Paris, en tout et pour tout trois paires de draps. Ce qu’elle regrette surtout, c’est la bibliothèque de son père qu’elle considérait comme un trésor. Le troisième enfant de son neveu, Hervé 8 ans, est toujours chez les Jésuites, qui n’ont parait-il pas encore osé lui apprendre son malheur. La bonne de nos amis de Gigord a perdu de la même façon sa fille et 14 membres de sa famille.
Nous sommes sans nouvelles des petits depuis le 28 juillet et de nouveau bien tourmentés.
Paris a retrouvé l’animation d’une circulation intense. Je suis allée samedi à Chaville à bicyclette. Quel défilé. Sur Paris, les voitures d’ambulance se suivaient. Il y avait aussi des camions civils, avec un chargement hétéroclite : un mélimélo de sacs de ravitaillement et d’humains de toutes les catégories, jusqu’à l’honorable bourgeoise en chapeau et toilette à l’avenant.
Nous bénissons l’inappréciable colis d’œufs de Jeannie, c’est introuvable au marché noir, du moins au marché noir auquel je m’adresse… L’approvisionnement en légumes n’est évidemment pas brillant. Au mois de juillet nous avons eu des petits pois dans la vallée de Chevreuse. Mais il n’y a plus de trains et il n’y aurait d’ailleurs plus de petits pois. Quant à obtenir autre chose… Les paysans chez qui nous allions qui souhaitaient l’arrêt complet des trains pour avoir la paix doivent être satisfaits. Sur les routes on voit partout des hordes dépenaillées qui déambulent, inquiétantes. On dirait un nouvel exode. Quant aux trains, c’était la bataille à mort pour y entrer, et surtout pour en sortir ; afin de ne pas attendre une heure ou deux l’autobus qui vous transportait dans les pays détruits par les bombardements. Quel spectacle affreux, d’ailleurs sur cet embranchement Massy-Palaiseau.
Nous attendons
impatiemment 10H ½, l’heure de l’électricité (10H ½ à minuit) pour avoir
Comment Roger supporte-il son travail de mineur ? Ce doit être très dur pour lui.
16 août
Cette lettre arrivera-t-elle à Saint-Etienne ?? Enfin d’ici peu, la correspondance, si elle est interrompue, reprendra. Demain, plus de gaz : application du « plan de détresse » n° 1… en principe, en fait c’est impossible. Si nous avons le plat cuisiné la semaine prochaine, ce sera bien beau. Les gens ne sont pas autrement émus de ces inconvénients et pensent que çà ne durera pas. Privation de métro aussi. Tout ce monde qui circulait sous terre circule maintenant dessus et à pieds. Quel encombrement de piétons et aussi de cyclistes.
Hier soir,
pendant le diner, la concierge est venue nous dire qu’elle venait d’être
prévenue, officieusement, de ce que l’eau allait être coupée dans
Samedi 19
Avec cette grève des postiers, j’ai laissé ma
lettre en panne. Mais je pense qu’elle pourra bientôt partir. L’atmosphère
n’est plus
Dans la matinée
des explosions se sont fait entendre de plusieurs côtés. A mon bureau il est
décidé que chacun rentre chez soi. Vers 11 heures, j’ai enfourché donc ma
bicyclette et prends le chemin de chaque jour. Tout est parfaitement calme.
Mais-à peine arrivais-je sur l’esplanade des Invalides qu’une rafale des
mitrailleuses y éclate. Je rebrousse chemin en vitesse. Le calme revient. Je me
décide à traverser l’esplanade. Savais-je ce que j’aurais trouvé si j’avais
fait un détour ? Et je suis prise par une nouvelle rafale enfin j’enfile
la rue de Grenelle ; très animée. On entend le cri de « rentrez chez
vous ». Les gens courent. J’appuie ferme sur mes pédales. Arrivée devant
la mairie du VII° ; émotion, le drapeau tricolore flotte, et en face des
soldats allemands, sont en faction devant le ministère des P.T.T. Quelques
instants après, c’était la bagarre par là. J’arrive à la maison, des coups de
feu retentissent à
On ne l’entend plus.
Dimanche 20
Cette lettre commence à devenir un journal.
Quelle journée inoubliable. L’Armistice est signé entre le Résistance et les
allemands. Nous avons vu de nos yeux une voiture de la Préfecture de police
passer tout à l’heure, suivie d’une voiture allemande, avec 4 allemands dedans,
sous la protection d’un policier français. Les allemands demandent une trêve à
Enfin ça y est. Ils ont abouti. On respire. Nous sommes allés au grenier chercher les drapeaux, mais nous attendons pour les mettre que Paris soit vraiment débarrassé de sa vermine. On pense que ce sera fait ce soir et que les Américains seront là mardi au plus tard. On croit rêver. Paris est déjà en liesse.
Cet après-midi encore, il y avait des gens tués dans les rues.
Grand mouvement encore tout-à l’heure dans
Déjà la rue est toute pavoisée.
mardi 22
C’est la douche écossaise. Dès hier matin, de bonne heure, des hommes passaient dans les rues en criant « enlevez vos drapeaux, ils tirent dessus ». Et les drapeaux se sont repliés. De fait, les mitrailleuses continuent de plus belle. Plus de bureau, au moins jusqu’à jeudi (pourquoi jeudi ?). On nous a renvoyé chez nous, hier matin, en nous payant, ce qui n’était pas désagréable. Ceux qui étaient venus n’étaient d’ailleurs pas très nombreux.
Les queues s’allongent aux boulangeries. Ce matin j’ai fait la queue presque deux heures pour avoir un pain et demi. Que de choses on entend raconter dans ces queues, des gens tués ou blessés. J’étais à côté d’une femme à qui l’on demandait des nouvelles de son mari, blessé par plusieurs balles et qui commençait à reprendre connaissance.
En allant chez
la crémière (ou il n’y avait rien du tout), j’ai eu la surprise d’apercevoir
que St Thomas D’Aquin qui avait fermé ses portes, (à côté de la caserne
d’artillerie occupée par les boches, 3 personnes, père et 2 enfants ont été
tués dimanche matin de bonne heure en allant à la messe) les a rouvertes et
bien rouvertes : il y avait du monde sur le perron le tapis, et deux
magnifiques suisses en rouge, je n’en croyais pas mes yeux. Je me suis
approchée et suis arrivée juste à temps pour voir arriver sur le boulevard St-Germain
désert, la mariée à pied, suivie de ses deux demoiselles d’honneur portant sa
traine. Le tout rasant les murs. Pendant ce temps là, le canon du Sénat
grondait. Car cela fait vilain du côté du Sénat. Les pauvres Hervé Kergall qui
habitent rue de Tournon en savent quelque chose. Le canon tire du Sénat dans
l’enfilade de
Dès hier, les murs de Paris étaient couverts de tacts communistes signés : Le Commandant du Grand Paris. Pourquoi pas « Der Kommandant von Gross Paris ». A mon bureau, j’ai vu le populaire orné d’une grande photo de Blum et de litanies sur lui se terminant par un message de tendresse à son égard. On dit beaucoup de choses : que la trêve de dimanche n’a pas été acceptée par la « Résistance » communiste. Car il y avait plusieurs résistances à Paris comme il y avait plusieurs maquis à Paris et ailleurs.
On dit aussi que cela n’a été qu’une ruse des allemands pour
se ressaisir. Il y a eu bataille à la Cité, camp retranché de la Résistance,
boulevard St-Michel, au Panthéon. Les barricades se dressent un peu partout,
les sacs de sable de
Je suis allée cet après-midi en bicyclette, en faisant un grand détour par l’Observatoire et le Val de Grace, à un poste de secours rue du Cardinal Lemoine, qui soi-disant avait besoin de quelqu’un. Quand j’y suis arrivée, il n’y avait plus besoin de personne, seulement des traces de bagarre, des projectiles étaient entrés à l’intérieur même du poste, un couvent de St-Vincent de Paul. Souhaitons que tous les postes de secours ne soient pas plus occupés que celui-là, et puisque malgré l’insigne que je porte, je n’ai pas la moindre notion de secourisme ; je ne ferai pas de zèle intempestif.
Curieux, ces escarmouches, ces batailles de rues, ces fusillades dans tous les coins. Cela parait presque désuet après toutes nos villes détruites, ces quartiers ravagés en quelques minutes et les V 1 ou 2, si ce n’est 3 qu’on nous annonce après le départ des allemands…
Nous venons d’être secoués par une explosion suivie de fracas de verres cassés ? C’est un char allemand qui a tiré rue des Saints Pères sur un camion FFI. Les pompiers sont en train d’éteindre le feu. Sans doute y-a-t-il de pauvres diables dedans…
Il parait que la région lyonnaise est presque entièrement sous le contrôle des FFI. Que se passe-t-il à St-Etienne ? Nous pensons souvent à vous. Nous espérons voir bientôt les petits.
Aujourd’hui, dans les immeubles quête de médicaments et de linge pour faire des pansements. Comment ces bandes seront-elles aseptisées ?
Coté pratique : Maman et Laure ont fait aujourd’hui un marché sensationnel : des tomates, les premières de l’année, et des courgettes ? Distribution hors contingent, dite « d’éclatement » ? Il y avait une longue queue, mais Maman passe avec les priorités.
Mercredi 23
Massacre de FFI ce matin au Grand Palais. Le
canon des Invalides tirait. Il parait que le Grand Palais est en feu. Pourvu
que ce ne soit pas le commencement d’une série. Les allemands semblent avoir
amené de sérieux renforts.
Temps lourd aujourd’hui. J’ai voulu prendre un bain de
Seine. J’avais déjà fait une tentative le 15 août. Au bain Deligny, il y avait
une queue de 200 personnes. Mais tous amateurs de bain ne s’amusaient pas à faire
Aujourd’hui ; l’atmosphère est bien différente. Mais il
fait chaud et vers 4 heures c’est calme. Je prends donc mon costume, une
serviette, un béret basque, mes bonnets de bain sont complètement secs, et je
pars. Place St-Germain des Prés des chars ravitaillent le poste allemand. C’est
un peu inquiétant. Les gens s’esquivent. Je n’étais pas loin dans
Jeudi 24
La radio triomphante annonçait hier soir la libération de Paris. Nous étions ahuris. Cette nuit encore multiples explosions, coups de feu. Ce matin les journaux, car nous avons maintenant des journaux, jusqu’au Figaro parlent d’une trêve. Encore une trêve ! Qui tire les ficelles des marionnettes ? Les Américains ne sont pas loin, tout prêts à intervenir, sans doute, si les choses venaient à se gâter, mais la radio pourra clamer que Paris s’est libéré tout seul. Les sentinelles allemandes de St-Germain des Prés sont toujours là.
Comme, je suis allée à mon bureau ce matin. Nouveau rendez-vous lundi prochain. Le chemin n’est pas de tout repos. On ne traverse plus la rue de Bourgogne. On s’y bat et le canon tire en enfilade de la chambre des Députés. J’ai vu apporter des civières. Le Grand Palais, vu de l’Esplanade des Invalides n’a pas changé de silhouette.
II heures moins le quart, voilà encore une journée qui comptera. Vers 8 heures et demie, ce soir, grande animation dehors. Laure et moi nous sortons. Le bruit court que les américains sont à la porte de Vanves. Déjà rue de Rennes, des gens se massent pour les voir passer. Partout les drapeaux poussent aux fenêtres. Cependant le courant donne, chacun va à son poste de T.S.F. et la BBC annonce que les troupes du Général Leclerc ont traversé Paris il y a quelques heures. C’est tout de même trop fort ! Puis voilà la radiodiffusion française, dont l’émission visiblement pas préparée est émouvante. On nous dit que le Préfet de la Seine reçoit les Américains à l’hôtel de ville. Sans doute un détachement ? Est ce que tout cela est une vaste mystification ?
Laure et moi nous sommes de nouveau dehors. Tout-à l’heure
les fenêtres s’étaient toutes éclairées, mais la Défense passive a fait tout
éteindre parce "qu’ils tirent au sénat ». Encore ! Malgré cela
tout le monde est dans la rue, d’ailleurs calme. Des groupes entonnent -bien
mal-
Coup de téléphone de Reine. Il parait que le Général Leclerc est à l’Hôtel de Ville. Nous demeurons sceptiques à la grande indignation de Bernoux.
25 août
C’est bien vrai, Paris exulte. Plus de sentinelles allemandes à St-Germain des Prés, mais des coups de feu partout. La foule est dehors et la bataille continue. Place St-Germain où je suis allée chercher le Figaro, les coups de feu crépitent. On voit la fumée de la poudre rue Bonaparte. Mais personne ne songe à s’en aller et les FFI parcourent la foule en disant « Mesdames et messieurs, je vous en prie, ne restez pas là ».
4heures. La bataille fait rage, les balles sifflent.
On tire de notre toit depuis le début, nous entendons de temps à autre, dans la
cour, comme le claquement d’un pistolet à bouchon. Cette fois çà claque sec et
ferme au dessus de nos têtes et partout. Il parait qu’il y a des incendies de
tous côtés, on entend sans cesse les pompiers. La femme de ménage, venue quand
même, nous dit qu’à St-Pierre de Montrouge, les boches tirent du clocher. Cette
même femme de ménage est rentrée de vacances lundi denier, d’un coin de l’Eure
situé à plus de 80 kms, elle était avec sa famille, ils ont fait le trajet à
pied en deux jours.
Téléphoné tout à l’heure aux Hervé Kergall. Cà ne répond pas, ils doivent être dans leur cave. Que se passet-il au Sénat ? On entend beaucoup le canon, plus personne dans la rue, pas même aux fenêtres. Grand mouvement de FFI dehors, des automobiles amènent de nouveaux combattants. On a l’impression qu’on fait le siège de notre maison. C’est passionnant. Arrivera-t-on à dénicher ceux qui tirent sur nos toits ?
C’était la fête de Papa aujourd’hui, et nous n’avions rien à lui offrir. Par chance j’ai rencontré ce matin une petite marchande de fleurs, c’était une rareté. J’ai pu avoir quelques roses. Nous avons fait un déjeuner succulent. Nous avons ouvert une boite de cassoulet récupéré sur les boches, c’est Pierre Bordegene fils de notre concierge qui nous l’a très gentiment apportée avec 3 autres boites de conserve, et une bouteille de cognac réservé à la Wehrmacht, avec étiquette en français et en allemand.
Nous avons demain les des Hébert à déjeuner. Tout à l’heure
à
Elles dînent ce soir chez leur cousine Guébarth, rue des
St-Pères. Marie Blanche est montée, nous lui avons prêté chemise de nuit et
serviettes de toilette. Le Sénat s’est rendu, l’Ecole Militaire aussi, les
Hervé Kergall au Sénat, et Krug à l’Ecole Militaire ont vu les allemands partir
sous les huées de
Lundi 28 août
Bureau (pas débordé de travail). Quelles journées magnifiques. Paris délire de joie. Ces camions parqués sur l’Esplanade des Invalides, exactement comme les camions allemands il y a quelques jours, mais si différents. L’un d’eux s’appelle « Grenoble » mais je n’ai pas vu le Grenoblois. Chaque camion est entouré, fêté. Ce sont des français, cette fois-ci nous sommes bien libérés.
Samedi matin, calme inaccoutumé, presque insolite. Cette
armée de tireurs isolés répandus partout n’a pourtant pas pu se volatiliser.
Surement, ils nous réservent quelque chose, une surprise pour le défilé. Chacun
le pense et pourtant, l’après-midi, tout Paris est massé, -foule grouillante
des plus beaux 14 juillet- on pourrait dire « foule de l’Armistice ».
De l’Etoile à Notre-Dame, Laure et moi, et revêtues de nos robes les plus
fraiches, nous nous dirigeons vers
Cela tirait de tous les côtés à
La nuit nous réservait une autre surprise. Il va falloir
maintenant subir les bombardements allemands. Nous nous attendions aux V1 ou
V2, mais pas à un bombardement par avion. Ce doit être un suprême effort de
leur aviation. Il est vrai que les aérodromes ne sont pas loin… On entend le
canon de la bataille autour de Paris. Enfin, cette nuit là, pour la première
fois depuis cette guerre, nous sommes descendus, non pas à la cave, nous avons
été trop longs à nous déplacer, mais au rez-de-chaussée. L’incendie de la Halle
aux vins a illuminé longuement notre quartier. A la fenêtre, on pouvait lire.
Le soir, maintenant, nous vérifions notre baluchon pour
notre descente à l’abri, comme le font depuis si longtemps les gens qui se trouvaient
sous la menace des bombes alliées. Nous faisons cela à la lumière de nos
bougies dont nous usons avec la plus grande parcimonie. Nous n’avons
l’électricité qu’un quart d’heure ou une demi heure le soir, généralement avant
la tombée de
Bon courrier à midi. Toutes vos lettres pour le 15 août. Bonne lettre aussi du Manoir, mais remontant à un mois. Les Mallevoue doivent être en ce moment en pleine bataille. Ce courrier de midi est une aubaine. Le ministère des PTT s’est fait attraper pour cette distribution. Il ne faut pas compter sur d’autre courrier pendant 15 jours.
Vu aujourd’hui Tante de Mallevoue, anéantie par les événements et le naufrage de Pétain qui pour elle était une seconde Jeanne d’Arc… Elle a des nouvelles de ses enfants d’Alençon par Guy Jousselin de St-Hilaire, (son petit-fils capitaine de l’armée Leclerc que Mirette a aperçu mystérieusement un certain matin de l’automne dernier à la maison). Les allemands ont quitté la propriété des J de ST-H, mais non sans faire quelques dégâts. Mon Oncle a du se départir de sa montre sous la menace du revolver. Vieille habitude… Et qu’est-ce d’ailleurs à côté de toutes les horreurs qui se sont passées et qui font frémir. Vu aussi un autre capitaine FFI celui-là, Antoine Kergall, venu nous voir en courant.
On a arrêté une femme et une petite fille qui tiraient de l’hôtel en face de chez nous. Il parait qu’il y a des familles entières de miliciens qui se relayaient pour tirer de leurs fenêtres.
2 septembre
Hier, Laure est
allée voir Tante Odile à Pantin, à bicyclette bien entendu. Pantin est à l’est
de Paris et ses habitants ont vu passer les troupes allemandes en retraite. Ils
ont vu passer de tout, jusqu’à des camions de volets et de portes. Ils ont vu
aussi des convois de souris grise. L’une d’elles a paraît-il tiré sur une
« queue », une femme lui ayant fait un signe « d’adieu » de
Visite de Mme Weber (une grenobloise de Franceville) qui a vécu des moments de transes. Un camion allemand ayant sauté dans sa rue, les boches ont immédiatement pris et fusillé séance tenante un quelconque jeune homme habitant la maison d’où le coup semblait être parti. Peu après un second camion allemand saute, le coup étant venu cette fois de sa propre maison. Il a fallu cacher bien vite, je ne sais comment, Philippe Weber (19 ans). Ils ont tremblé toute la nuit, croyant toujours à une descente allemande qui, heureusement ne s’est pas produite.
4 septembre
Les bonnes gens commencent à craindre pour leur tranquillité. Un peu partout, on se plaint des FFI. On prononce le mot de « nouvelle Gestapo ». Le drapeau rouge flotte à Belleville et dans les quartiers populeux. Par ici, il est plutôt rare. A St-Etienne, vous devez être servis. Une de nos dactylos qui se promenait sur les Champs-Elysées avec les drapeaux français et anglais et américain à la boutonnière a été appréhendée par un groupe de FFI qui lui ont demandé pourquoi elle ne portait pas aussi le drapeau rouge, et lui ont déclaré que « si elle ne le portait pas le jour de la victoire on lui ferait passer le goût du pain ».
On annonce une heure de gaz à partir de jeudi. Cela semble merveilleux. Pas question de l’électricité. Nous en avons toujours notre demi-heure quotidienne, qui ne dure généralement pas plus de 20 à 25 minutes. On s’habitue à se passer de lumière comme de beaucoup de choses. Qui aurait cru que le peuple supporterait sans rien dire le régime de l’eau ? Notre dernière distribution de vin se monte au mois de juin.
Les rues de Paris ne sont pas encore nettoyées. Il y a encore bien du verre pilé, des arbres coupés, des kiosques renversés. Partout des débris de barricade. On voit des fenêtres agrandies. Quant aux façades écorniflées, voire même écorchées, elles garderont sans doute jalousement leurs cicatrices. Les rues sont de plus en plus encombrées de cyclistes. Les porte-bagages arrière ou même avant sont bien souvent occupés par un voyageur. C’est assez drôle de voir une grosse dame sur un porte-bagages avant. On aperçoit aussi quelques fiacres antédiluviens, des tapissières. Les américains adorent se promener en fiacre.
Il est tombé quelques V 1 dans la région parisienne, mais personne, pour l’instant ne semble s’en émouvoir.
11 septembre
Aujourd’hui reprise du métro. C’est un événement dans la vie parisienne, qui me laisse personnellement assez froide. Semaine calme mais il y a de l’inquiétude dans l’air. Les querelles politiques reprennent leurs droits. L’ « Humanité », qui n’a jamais pu exister que « contre » continue à prêcher la haine chaque jour, dans ses colonnes. Le « Figaro » affecte un petit air révolutionnaire, tout en restant cependant dans sa tour d’ivoire. Il est bien agréable à lire, avec des articles très intéressants et bien faits. J’ai le temps de lire mon journal, ou même mes journaux à mon bureau. Cela me change et pour le moment, je ne m’en plains pas.
Nous n’avons toujours que notre demi-heure d’électricité quotidienne. Avec les jours qui baissent, c’est de plus en plus reposant. Il y a des quartiers plus favorisés qui l’on presque toute la journée.
J’ai eu samedi, un gigot ! Nous en avons profité pour avoir à déjeuner, dimanche Guy, qui n’est pas de l’Armée Leclerc, mais du service de renseignement de l’Armée, improprement appelé 2° bureau.
Nous sommes toujours sans nouvelles des petits, et nous trouons cela bien long. J’ai pu faire passer une lettre à La Flèche, à Mme de Galbert, la mère de Lily, par le délégué de mon comité dans la Sarthe, lors de son passage à Paris, il y a quelques jours. Mme de Galbert qui est présidente de la Croix-Rouge à La Flèche, trouvera peut-être bien le moyen de nous répondre. Mais il y a très peu de chance pour que les enfants soient encore là-bas. Dès que la chose aura été possible, Christian aura voulu rejoindre son usine. Quand ils ont quitté Sannerville, l’usine était presqu’entièrement détruite, la maison avait reçu au moins deux torpilles. Après, la bataille a continué, très âpre là-bas. Que retrouveront-ils ? Comment camperont-ils ? A Courcelle-la-Forêt, leur lieu de refuge, ils étaient tous tassés, grands-parents, parents et enfants dans deux pièces trouvées à grand peine. Ils faisaient leur cuisine dehors, et la majeure partie de leur temps était pris à la recherche du ravitaillement et du combustible. Un campement à Sannerville ne serait peut-être pas plus inconfortable. Pourquoi ne sont-ils pas revenus à Paris quand il me semble qu’ils en auraient eu la possibilité ?
Roger est-il libéré de son travail de mineur ?
On dit que la fausse annonce radiophonique de la Libération de Paris avec le message du roi Georges VI a été une ruse du Haut Commandement Interallié pour arrêter l’élan de deux divisions allemandes qui s’apprêtaient à foncer sur Paris. L’histoire mérite d’être vraie. Il faut bien d’ailleurs donner une explication à cette mystification qui ne s’est pas faite sans raison.
Lundi 18
Nous avons des nouvelles des petits, par un coup de téléphone absolument charmant de Mme Adam, la grand-mère de la jeune femme. Ils doivent être maintenant réunis tous à Lasson, entre Caen et Bayeux, chez la sœur jumelle de la jeune femme, dont la maison a été épargnée par les bombardements. Christian était parti en avant avec sa femme, et il est retourné à Courcelle chercher ses parents et ses enfants. Il paraît que la maison de Mme Sauval n’est pas grande, et il est à supposer que Mr et Mme B. ne tarderont pas à retourner à Paris. Nous imaginons qu’ils amèneront Olivier avec eux.
A Sannerville, il paraît que l’usine est détruite, et la maison une passoire. Nous pensons à tout ce qu’elle contenait encore de souvenirs de Colette : son album de photographies fait par elle, si complet et qu’elle aimait tant, des lettres annotées, classées, son carnet, et tant d’autres choses. A-t-on pu sauver quelque chose de tout cela ?
Maman à reçu la lettre de ma tante, du 14 août. La Poste
devait l’avoir dans ses fonds de tiroirs. Qui nous apportera des nouvelles de
St-Etienne comme nous en avons de Grenoble. Bonne lettre de
Nous n’en avons pas encore fini avec les fusillades, mais
elles sont seulement nocturnes. De ma chambre, j’ai toujours l’impression que
cela part du Carrefour de
Le ravitaillement fait des progrès, mais le manque d’électricité devient chaque jour plus gênant. L’heure quotidienne de gaz est un progrès aussi mais Laure soupire après le retour réel du Gaz.
L’autre jour, dans un petit caboulot où je me fournis de marché -disons gris- je me suis trouvée en présence d’un soldat américain qui ne savait pas un mot de français et demandait une consommation en rapport avec les quelques trois francs cinquante qui lui restaient en poche. Je lui ai offert un verre de vin (14 frs) il était ravi et moi aussi. Les prix exorbitants sont un grand sujet de plainte pour les soldats alliés…… mais pas seulement pour eux…
25 septembre
Des listes de
suspects vont être publiées. Nous sommes sous le régime de
A mon bureau, une lettre de notre Délégué-adjoint de l’Aube nous apprend d’une part l’arrestation de notre Délégué, un brave homme -évidemment très Pétain/Laval- et d’autre part la mort du président du Comité de Troyes, tué avec sa femme et 7 personnes à son service et 62 habitants de son village (Buchères) par un groupe de SS. Encore un Oradour en petit. Un neveu de Tante Odile, qui se trouvait à Brest au moment de la Libération a vu de ses yeux trois enfants cloués au portail d’une église par les boches. Les récits d’horreurs se multiplient. La zone sud est encore mieux servie que la notre à cet égard, je crois. Et cela continue. Que se passe-t-il à St-Etienne et aux environs ?
28 septembre
Nous avons eu hier Paul Villeprand à déjeuner. Comme nous nous mettions à table -assez tard- nous avons eu la bonne surprise de la sœur de Lily, Madame de La Bretèche, que nous n’avions encore jamais vue, charmante comme Lily. Elle nous a donné de moins bonnes nouvelles des Cabrol, en revenant chez lui, à Troarn, Mr Cabrol a été grièvement blessé à la figure par l’éclatement d’une mine, dissimulée par les allemands dans un sommier. On le considère maintenant comme sauvé, mais il a perdu un œil.
Nous nous plaignons du manque d’électricité, à Caen, il n’y
en a pas du tout, et même en plein jour on n’y voit rien dans les maisons où
les vitres absentes ont été remplacées par des panneaux de bois. Mme de La Bretèche
a parcouru la Normandie (en auto-stop depuis Fourniées dans le Nord où elle
habite). Elle a vu les ruines de Saint-Lô, d’Argentan et tant d’autres, tous
ces pays autrefois si riches, ravagés par
Laure vous a écrit une carte, qui sera postée à Lyon.
Peut-être y a-t-il pour nous un message en route……
Les photographies proviennent du site
http://www.liberation-de-paris.gilles-primout.fr/index.htm,
avec
l'aimable autorisation de l'auteur qui, sur son site, dans la partie
témoignage, a bien voulu consacrer une très belle page illustrée (http://www.liberation-de-paris.gilles-primout.fr/tvarcollier.htm)aux lettres de Marguerite Varcollier mises en ligne ici.
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