De l'utilité de la guerre
en Indochine
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Album Indochine | Article Jacques Guinard |
Je ne saurais dire exactement à quel moment de son séjour en
Indochine mon père écrivit ce texte. Il me semble cependant qu’il reflète bien
les « états d’âme » que doit avoir chaque soldat engagé dans une
guerre où la politique est plus la maîtresse des décisions que la pure tactique
militaire. Cela est d’autant plus vrai, depuis une soixantaine d’années, dans
les engagements de nos militaires sur ce que l’on appelle les « théâtres
d’opérations extérieures »…
Le combattant,
chose normale, fait la guerre et ne fait que la guerre. Il ne réfléchit pas
souvent. Il est trop las et aime mieux ne pas trop approfondir le pourquoi des
choses. On comprendra ce fait par la suite. Ceux qui parlent le plus de la guerre
en Indochine sont ceux qui ne combattent pas, qui restent à l’arrière et c’est
eux qui la connaissent le moins.
Il y a aussi
le reporter aux armées ; mais lui ne dit que ce que la censure lui laisse
dire. Donc aucune valeur. Il arrive cependant au soldat de chercher à
comprendre ce qu’il fait. C’est donc les opérations dans lesquelles il est
engagé qui sont son premier sujet de réflexion.
Pourquoi
fait-on telle opération ? Et souvent il a l’impression que des fautes sont
commises et non pas par lui, mais par le commandement. Un exemple récent le
fera comprendre : SAM NEUA.
Pourquoi avoir
attendu si longtemps pour assurer l’évacuation de sa garnison, alors que,
depuis décembre, le Haut-commandement prévoyait l’offensive Viet. Seulement
huit jours plus tôt, et la garnison pouvait arriver sans encombre à la plaine
des Jarres.
Bien sûr,
après les événements, on a dit que ce retard était nécessaire pour permettre de
terminer les défenses du camp retranché de la plaine. On a donné dix autres
bonnes raisons. Mais cela venait après et ressemblait un peu trop à des
excuses, pour que l’on y croit.
Et dans les
discussions lorsque nous en arrivons là, nous sommes lancés. C’est à ce
moment-là que l’on réfléchit sur la guerre d’Indochine dans son ensemble. La
plupart d’entre nous n’en voient pas l’utilité.
Oui !
Dans les discours, dans les journaux on nous parle de grandes idées
humanitaires, d’aide à nos frères jaunes et de beaucoup d’autres belles raisons
de faire cette guerre. Mais lorsqu’on voit ces « cocos » de près on
n’y croit plus. Nos dirigeants, en France raisonnent en Européens et agissent
de même. Or les asiatiques sont la race la plus hypocrite qui soit sur terre et
la plus menteuse. Même pris en flagrant délit, le jaune nie effrontément. On se
doute quelle peut donc être leur sincérité dans les rapports internationaux. Se
battre pour les aider ? Mais que veulent-ils exactement ?
Et lorsqu’on
est depuis quelques temps en Indochine il semble que l’on défend non pas des
intérêts généraux mais bien plutôt des intérêts particuliers ou la place d’un
personnage quelconque. Cela sent la basse politique à plein nez.
C’est
d’ailleurs là un troisième point noir la politique. Alors que nous nous battons
ici la France se sert de nous pour de vulgaires luttes de partis. Il semble que
nous sommes là que pour permettre au gouvernement de se glorifier d’un succès
et réduire ainsi un parti au silence ou pour permettre à ce parti de reprocher
au gouvernement un échec et renverser un ministère.
On a nettement
l’impression que nos dirigeants ne veulent pas voir cette guerre finie. Cela se
sent par les interdictions que l’on nous fait, par exemple d’employer les
lance-flammes alors que les Viets, quand ls en ont s’en servent. Et cela sous
prétexte que nous ne sommes pas en guerre, mais que nous faisons de la
pacification. Ceux qui disent ça feraient bien de venir y voir de près.
Autre fait
remarquable. Les seules opérations qui réussissent sont celles qui sont faites
sans que l’on ait prévenu le gouvernement à Paris. On n’ose pas parler de
traitres mais on se pose bien des questions, ici parmi les combattants
d’Indochine.
Les gens bien
pensants du gouvernement, dans leurs discours, nous traitent régulièrement de
« Héros » mais permettent que les communistes nous appellent traitres
et bourreaux et nous accueillent comme des malpropres à notre retour à
Marseille, alors que, toujours selon le gouvernement nous avons bien mérité de
la patrie. Nous ne nous sentons pas soutenus ici et nous faisons cette guerre
sans y croire.
Si on ne veut
plus de nous en Indochine, si cette guerre est inutile, il n’y a qu’à nous
rappeler en France. La plupart des militaires qui sont ici n’ont pas demandé à
y venir. Ils font leur devoir parce qu’ils sont militaires et ils obéissent.
Mais ils ne souhaitent qu’une chose : rentrer le plus tôt possible en
France dans leur famille ; les gens mariés sont tous de ceux-là.
Et ceux qui
sont volontaires ne le sont pas, poussés par le désir de chasser le Viet-Minh.
C’est par amour du risque, par déception, par amour du combat pour lui-même ou
bien parce que c’est bien payé. D’ailleurs depuis la Corée, il y a beaucoup
moins de ces volontaires pour l’Indochine. La dernière catégorie de volontaires
comprend ceux qui ont laissé en Indochine, au cours d’un précédent séjour, un
lien sentimental et reviennent dans ce pays pour renouer ce lien.
Mais je n’ai
rencontré encore aucun officier, aucun soldat, qui soit là pour combattre le
communisme ou pour toutes les autres belles raisons que nous donnent les beaux
parleurs qui restent en France assis dans un confortable fauteuil, d’où il est
facile de parler de beaux sentiments.
Et j’en admire
d’autant plus ces soldats qui font preuve d’héroïsme (Je ne parle pas de moi
qui suis dans un bureau) simplement parce qu’ils sont militaires et sans avoir
vraiment un idéal pour les soutenir. Et c’est une chose triste à constater.
Mais comment
croire à un idéal qui nous vient de France ? Ce que je viens de dire plus
haut, les luttes politiques dont nous sommes les lointains spectateurs, quand
nous n’en sommes pas les victimes ne nous incitent pas à croire ce à quoi nos
dirigeants ne croient même pas. Et que faisons nous en Indochine, où nous
voulons remettre de l’ordre, alors que le Français n’est même pas capable d’en
avoir chez lui. Cette pagaye (sic) est encore ce qu’il y a de plus démoralisant
pour nous, car nous avons nettement l’impression qu’au milieu de tout cela on
se moque pas mal de nous et que seul compte les intérêts de tel ou tel député,
auquel cas il daigne se servir de nous et savoir que tous les jours se font
tuer le meilleur de l’armée française. Et pourquoi, grands dieux ? Cela
nous paraît bien inutile à nous…
Cela ne nous
empêche pas d’être gais, de blaguer et d’avoir bon moral. Mais plutôt que
d’aborder ce sujet qui nous mène beaucoup trop loin, on peut arriver à
comprendre que ce militaire parle de toute autre chose et paraisse plutôt mal
embouché à son retour en France. Il peut penser, il n’est pas une bête, mais
pour garder son moral il est des sujets que l’on n’aborde pas ici, et l’utilité
de cette guerre en est un. Il en est révolté chaque (fois) qu’il y pense, car
en somme, on se sert de notre peau pour faire de la politique. Et nous pensons
tous que notre peau vaut mieux que çà. Pas vrai ?...
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