Augustin LAMBRÉ : de Belleville à Nouméa ou le destin d'un communard |
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photos qui illustrent cet article. S'il y a plusieurs pages, comme pour
les
documents d'archives, chaque partie du lien représente une page
(exemple :
rapport de voyage : 3 liens pour 3 pages différentes, et pour
l'interrogatoire,
le recto et le verso sur chacun des liens).
Cet article a été imprimé dans sa première version, et
déposé au service des Archives Territoriales de
Nouvelle-Calédonie. Cette administration trouvant ce modeste
travail digne d'un
professionnel nous a fait l'honneur de faire une copie de
l'article déposé
et de le placer parmi les usuels de sa salle de lecture, donc en libre
consultation pour tous les visiteurs.
Augustin François LAMBRÉ voit le jour le 31 décembre 1834 à Paris (Xème arrdt). Nous ne savons que peu de choses de lui, car son acte de naissance est introuvable aux Archives de Paris. En effet, au moment où les troupes versaillaises essaient de reconquérir Paris, qui était aux mains des Fédérés, ces derniers mettent le feu aux principaux édifices publics, dans l’espoir de ralentir l’avancée des assaillants. Ainsi l’Hôtel de Ville est détruit et l'état-civil Parisien par la même occasion. En outre l’acte de naissance d’Augustin ne figure pas au nombre des actes reconstitués. Dans les registres des enfants assistés, on trouve un auguste Lambré, trouvé en février 1835, malheureusement le dossier n° 820 correspondant est manquant aux Archives de Paris. Et comme il n'est fait aucune mention des parents d'Augustin dans les différents documents consultés, il est donc assez difficile, voire impossible de connaître son origine et sa généalogie. Il devait cependant être d'extraction fort modeste, comme nous le verrons plus loin. Rappelons que les gardes nationaux parisiens prirent le nom de fédérés au moment où fut constituée la Fédération de la Garde Nationale, le 3 mars 1871, et qu'ils furent les soldats de l'armée de la Commune de 1871. D'après le Registre de la Déportation de l'Île des Pins, Augustin François Lambré était âgé de 38 ans, était célibataire, né à Paris de parents inconnus, exerçant la profession de journalier, habitant 16 rue Maubuée à Paris. Il était de religion catholique. Il était de petite taille, ne mesurant qu'un mètre cinquante cinq. Il avait un visage ovale au teint clair, avec les sourcils châtains, le front couvert, des yeux bruns, un nez moyen, une grande bouche, un menton rond, et il portait une barbe blonde. Comme signe particulier, il portait une trace de coup de feu au coup. Dans tous les documents concernant Augustin qui ont été consultés, il n'est fait aucune mention de ses parents, ou bien la mention "inconnus" apparaît. Cela rend donc malheureusement impossible tout établissement d'une généalogie. Augustin
Lambré
communard Augustin Lambré a appartenu aux Compagnies de Marche du 162ème bataillon de Fédérés, depuis la formation de celui-ci, et jusqu'à la fin de l'insurrection. Au 28 novembre 1870, il est inscrit dans les effectifs de la 2ème compagnie de guerre de la Garde Nationale du département de la Seine, dans le 4ème arrondissement de Paris, sous le numéro d'ordre 14, comme ayant demandé l'indemnité allouée par le décret du 12 septembre 1870. Pendant
l'insurrection, Augustin a effectué deux
sorties avec son bataillon, une au fort
de Vanves (92), et une au fort du Mont
Valérien (92). Lors de la "bataille de Paris", lorsque les
troupes de Versailles entrent dans la ville, pendant
la fameuse "semaine sanglante", Augustin se trouve avec son bataillon
au carrefour de Bussy (actuellement
Buci), où il y avait une barricade, et y passe la nuit. Selon
certains des documents
figurant dans le dossier d'Augustin, il est question du
carrefour
de la
Croix-Rouge.
Ce dernier lieu, resté célèbre dans
la Bataille
de Paris, vit les troupes versaillaises de la division Lacretelle stoppées net après que celles-ci aient réussi
à emporter de la caserne de Babylone et de l'Abbaye-aux-Bois. Ce même 23 mai, Augustin est blessé grièvement rue Jacob (cette rue se situe
entre la rue de Seine et le rue des Saint-Pères dans le 6ème
arrondissement, parallèle au boulevard Saint-Germain), alors
que les combats
venaient de commencer sur
cette barricade du carrefour de la Croix-Rouge, et qu'il n'avait pu
tirer qu'une vingtaine de coups de
feu. Blessé assez grièvement donc, d'un coup de feu niveau du coup,
Augustin
est transporté à l'hôpital de la Charité,
où il est admis sous le numéro 2761, souffrant d'une plaie double et d'une fracture de l'omoplate, comme le
signale le registre des entrées
(page 1,
page 2). Il est dit demeurant
15 rue Billettes dans le 4ème arrondissement. Après une
hospitalisation de 97 jours, salle Vierge lit n° 27, il ressort le 27 août de l'hôpital de la
Charité, "Evacué sur Ivry". Augustin figure sur le registre des
sorties
de la Charité mais le registre des entrées de l'hôpital d'Ivry ne
mentionne aucun Lambré pour cette période, ce qui laisse à penser qu'il
est fait prisonnier à sa sortie de l'hôpital
de la Charité. Il est arrêté et incarcéré à la prison des
Chantiers à
Versailles (78). L'heure du jugement Le
14 octobre
1871, Augustin François Lambré est extrait de la prison
des Chantiers,
pour interrogatoire,
par le 4ème
Conseil de Guerre permanent de la 1ère Division Militaire
séant dans la
même ville. Il déclare être âgé de 37
ans, être né à Paris, exercer la
profession d'homme de peine, et demeurer au 5 de la rue Maubuée
à Paris (Xème arrdt). Au cours de ce même
interrogatoire,
il reconnaît les faits dont il est accusé, et qui
sont mentionnés au
paragraphe précédent. Au cours des différentes
auditions de l’enquête
le concernant, il déclare s'être engagé dans les
rangs des Fédérés afin
de pouvoir se nourrir. Selon
une enquête
de Police, en date du 11 novembre 1871, effectuée par le
commissariat du
quartier Saint-Méri, il ressort qu'Augustin François
LAMBRÉ, est journalier,
célibataire, qu'il a été en état d'ivresse
de temps en temps, mais que les
renseignements recueillis sur sa moralité ne lui sont pas
défavorables. Il a
travaillé aux Halles Centrales comme porteur. Il a habité
au 16 rue Maubuée, en
garni, du 5 octobre 1870 au 12 avril 1871, et d'où il est parti
car il ne
pouvait plus payer son loyer. Il ressort aussi de cette enquête
de Police
qu'Augustin François LAMBRÉ à été
plusieurs fois condamné,
le 5 mars 1859 à un mois de prison, le 5 mai 1859 à deux
mois de prison, le 14
février 1861 à trois mois de prison, et le 16 juillet
1861 à quatre mois de
prison, à chaque fois à Paris, et pour le motif de
vagabondage.
Augustin Lambré comparaît devant
le 4ème Conseil de
Guerre de la 1ère
Division Militaire siégeant
à Versailles, à
l’audience du 9 janvier 1872. Il est inculpé de
participation à l'Insurrection
Parisienne «coupable d’avoir en 1871 à Paris,
dans un mouvement
insurrectionnel, porté un uniforme militaire, et une arme
apparente et d’avoir
en outre fait usage de son arme» comme le signale son jugement. ce
tribunal est présidé par le colonel Boidenemetz, qui dirige les débâts.
Les juristes modérés dénonceront d'ailleurs sa "scandaleuse
partialité", qui a pour conséquence une parodie de justice où les
droits de la défense sont complètement bafoués. Pour de nombreux
communards, les plus humbles, le procès se déroule en trois phases
rapides : lescture de l'acte d'accusation, bref interrogatoire, puis
prononcé de la sentence, celle-ci étant souvent déterminée à l'avance.
La
Danaé arrive
à Nouméa le 29
septembre 1872, au bout de 147 jours de voyage, avec à son
bord 249
déportés, l’un étant mort en cours de route
d’une maladie de poitrine, selon le
rapport
du consul de France au Cap de Bonne Espérance. Outre les 214
membres
d’équipage, elle avait transporté 61 passagers
libres, parmi lesquels on
comptait 12 surveillants militaires ou fonctionnaires de
l’Administration
Pénitentiaire, accompagnés de 5 femmes et 9 enfants, 1
gendarme rejoignant son
poste, 4 sœurs de l’ordre de Saint-Joseph de Cluny, sans
oublier 7 femmes et 23
enfants de condamnés. Selon
l'extrait
de rapport
du capitaine de frégate Riou de Kerprigent, le voyage semble
s’être bien passé,
puisque selon lui «tous en général ont
montré une grande obéissance,
aussi ai-je eu peu à punir». Après ce voyage
long de cinq mois, le
débarquement à l’île des Pins a lieu le 4
octobre 1872, dans ce lieu idyllique,
aujourd’hui paradis touristique, avec ses plages de sable fin,
ses lagons
couleur émeraude et opale, le fameux bleu «des mers
du sud», ses
cocotiers et ses araucarias géants. La loi du 23 mars 1872 stipule que : «les condamnés à la déportation simple jouiront, dans l’île des Pins et dans l’île Maré, d’une liberté qui n’aura pour limite que les précautions indispensables pour empêcher les évasions et assurer la sécurité et le bon ordre». L’île des Pins avait été préférée car, selon le rapporteur de la commission nommée par Thiers pour rechercher l’endroit le plus approprié eu égard au nombre de condamnés : «les communications avec Nouméa sont aisées, et toutefois la nature de ses côtes rend l’évasion difficile. Le littoral est d’une grande fertilité et il n’est pas douteux que les déportés n’y trouvent, à l’aide du travail, une existence facile». De nombreux récifs coralliens et des hauts fonds rendent en effet la navigation fort dangereuse par gros temps, et quasi impossible la nuit entre l’île et la Grande Terre. Selon les députés qui ratifièrent les propositions du gouvernement, et en particulier le choix de l’île des Pins, celle-ci «présentait au plus haut degré les conditions de climat, de salubrité et de sécurité désirables». Les Kouniés, habitants autochtones très attachés à leur terre ancestrale, n’avaient cependant pas été concertés, et il fallut que le gouverneur de Nouvelle-Calédonie, le capitaine de vaisseau Gaultier de La Richerie, trouve un compromis avec le grand chef Samuel Vendegou et son épouse la Reine Hortense. Les deux tiers Est, partie la plus fertile de l’île resteraient aux Kouniés, et le tiers Ouest, pauvre et peu fertile, serait affecté à la déportation. Ce territoire comprenait la bande côtière qui s’étend du ruisseau de Gadgi au Nord, au ruisseau de Komagna et à l’isthme de Kuto au Sud, plus une partie de l’aride «plateau de Fer», soit environ 4000 hectares. Il fut divisé en cinq parties, appelées communes numérotées de 1 à 5, et ainsi dénommées commune n° 1, commune n°… La première commune était Uro, la seconde Koéville, la troisième Ouameu, la quatrième Ouaméo, et la cinquième le Camp des Arabes (la commune, la plus au nord et la plus aride, fut réservée aux Kabyles déportés en répression à la révolte du bachagua Mokrani en 1871). La presqu’île de Kuto deviendrait domaine fortifié, siège des services administratifs et résidence des détachements militaires. Augustin Lambré partagea les difficiles conditions (effroyables selon les témoins) des premiers déportés arrivés à l’île des Pins. A l'arrivée dans leur lieu d'internement en Métropole, avant le transfert en Nouvelle-Calédonie, chaque prisonnier perçoit le paquetage du bagnard (on peut supposer que les fers ne faisaient pas partie du paquetage des déportés, condamnés politques, rappelons le). En arrivant à l'île des Pins, il ne leur est fourni qu’un hamac et une toile de tente, et ils doivent camper comme ils peuvent dans les bois, puisque rien n’a été prévu pour eux on l’a vu… ni cases, ni baraquements. Par la suite, ils se fabriqueront des cabanes avec des branchages, ou des paillotes à la mode mélanésienne pour s’abriter. Plus tard, ils construiront des genres de cases faites de branchages et de boue séchée. Et ce n’était pas la maigre pitance qui pouvait remonter le moral, malgré quelques « petits vivres » fournis par l’Intendance, distribués par les délégués de commune, des rations alimentaires comparables à celles distribuées au bagne de l'île Nou, ou à la presqu'île de Ducos. L’Administration devait en effet en principe loger, nourrir, vêtir et soigner les déportés. La liberté à l’intérieur des «communes» était presque totale, puisque les déportés peuvent circuler librement dans un rayon de 25 kms, et qu’il n’y a qu’un appel dominical. Le port de l’uniforme n’est pas obligatoire, et les déportés peuvent revêtir leurs propres habits. Ainsi, certains traînaient en uniforme de la garde nationale, et le drapeau rouge put même flotter sur la première commune jusqu’au 15 août 1873 ! Mais les déportés manquent de médecins, d'hospices ou de médicaments. Pour la grande majorité, c’est l’inaction qui prime ! Le travail n’est pas imposé, mais recommandé, pour permettre aux déportés de « tuer le temps », et de « ne pas perdre la main ». Mais le travail leur permet avant tout d’améliorer leur ordinaire. Au point de vue de la discipline, c’est l’arbitraire le plus total qui règne, les surveillants militaires ayant tous les droits (punitions, barre de justice, ...). Les déportés, au fil des arrivées ne tardèrent pas à s’organiser, d’autant que la plupart exerçaient à Paris une activité artisanale, et c’est ainsi que les premiers villages ne tardèrent pas à voir le jour. Chaque commune possédait son chef-lieu et les déportés élisaient au suffrage universel un Conseil Municipal, composé de neuf membres, plus trois autres désignés par le gouverneur. L’un des douze délégués faisait fonction de maire. Fin 1872, les cinq communes abritaient un peu plus d’un millier de ces «citoyens» du bout du monde. La condition des déportés est précisée par une loi du 25 mars 1873, le gouvernement espérant transformer les condamnés en colons. Ainsi, ceux qui ne pouvaient travailler pour l’Administration (ateliers, chantiers, ferme-pilote) et donc être rémunérés, pouvaient s’ils le souhaitaient se transformer en fermier. Le commandant territorial leur fournissait un lopin d’un hectare maximum pour y pratiquer la culture. Les déportés furent cependant plus des jardiniers, cultivant quelques légumes et élevant quelques volailles pour améliorer leur ordinaire, qu’en véritables paysans, leur seul désir véritable étant de regagner leur terre natale. De gros chantiers d’intérêt général furent cependant mis en route, et dès 1873 se créèrent des restaurants, théâtre, bibliothèques, commerces, imprimeries, ateliers d'artisans. On doit aussi à la déportation la construction de routes, d'un wharf, d’un hôpital aujourd’hui disparu, l’aménagement d’une ferme-pilote, l’ouverture d’ateliers de cordonniers et de tailleurs, sans oublier le château d’eau de l’île des Pins, toujours en fonction aujourd'hui. Quelques uns se mirent à cultiver, mais beaucoup se lancèrent dans le commerce des vins et liqueurs. En effet, beaucoup de déportés, se voyant finir leurs jours dans cette prison dorée, sombrèrent dans l’alcoolisme. Les jours de paie, pour les déportés travaillant, le vin coule jusqu’à épuisement du porte-monnaie. Ce sont de véritables orgies qui dégénèrent souvent en bagarres. Outre l’alcoolisme, la dysenterie sévissait chez ceux qui oubliaient les règles de l’hygiène tropicale. Le courrier est rare, et la nostalgie du pays natal est grande. Quelques femmes, une trentaine, rejoignirent cependant leur mari, apportant une petite note de gaieté dans le sombre quotidien. Ils étaient ainsi 2560 déportés simples fin 1873, et 2818 en 1875. Sur les 3417 condamnés à la déportation simple, 800 seront employés à des travaux (conduite d’eau, hôpital, route) et toucheront ainsi une rétribution, 2 à 300 seront même «demandés par un entrepreneur, un négociant ou un propriétaire qui en répond» et vivront sur la Grande Terre, sans oublier les quelques privilégiés qui bénéficieront de la résidence libre à Nouméa, tel le docteur Rastoul, qui se constitua une belle clientèle, et fut rejoint par sa compagne, Juliette Lopez, et leur enfant. En mars 1874, les déportés doivent faire face à une pénurie de ravitaillement, surtout en viande fraîche, et se contenter de lard et de conserves. Certains même utilisent des herbes qu’ils ramassent et des trognons de choux pour confectionner leur soupe. Pour arranger les choses, il pleut sans cesse, souvent à torrent, et il faut utiliser de l’ammoniaque pour se protéger des piqûres de moustique. Après l’évasion de Rochefort et de ses comparses de la presqu’île de Ducos, le 19 mars 1874, les déportés travaillant à Nouméa sont renvoyés à l’île des Pins, la surveillance est fortement renforcée pour empêcher de nouvelles évasions, et des mesures répressives sont appliquées, dont un appel journalier. La compagne de Rastoul et leur enfant sont même expulsés vers l’Australie, ce qui poussera ce médecin, à tenter une évasion qui lui coûtera la vie, ainsi qu’à 19 autres déportés, dans la nuit du 11 mars 1875. Cette nouvelle tentative d’évasion entraînera de nouvelles mesures de répression. Le nouveau gouverneur arrivé mi-avril 1875 suspend l’assistance aux déportés (ration de vivres et habillement) qui ne peuvent subvenir à leurs besoins. Ceux qui travaillent ont du mal à s’en sortir, mais les autres crèvent de faim. Le courrier est de nouveau ouvert et les appels par les surveillants sont de nouveau quotidiens. Le 28 juillet 1875, une tempête éclate sur la région de Canala, d'une force jamais vue selon les chefs canaques, provoquant selon le rapport de gros dégâts et une inondation. Cette tempête sera ressentie au même moment à l'île des Pins et à Bourail. La fin Augustin Lambré effectue une demande de recours en grâce, en vertu de son statut de déporté politique, par courrier en date du 15 juillet 1876, adressé au Président de la République, le maréchal de Mac Mahon. Bien qu'il soit d'extraction modeste, il savait donc lire, écrire et signer, et il avait même une relativement belle écriture. Il a été "employé pendant longtemps comme manœuvre au service des travaux de l'île des Pins" D'un caractère "assez docile", doux et soumis, il eut une très bonne conduite, ne fréquentant que les déportés biens notés. Il obtient un avis favorable de la part de Monsieur le Gouverneur de la Nouvelle-Calédonie, mais les autorités militaires émettent un avis défavorable, et son recours est refusé. Cependant, par décision de la Commission des Grâces en date du 14 février 1877, la peine d'Augustin François Lambré est entièrement remise, et commuée en résidence obligatoire en Nouvelle-Calédonie. Il ne profitera pas de cette commutation de peine, pas plus que de la loi d’amnistie générale du 11 juillet 1880. En effet, Augustin François LAMBRÉ, matricule numéro 138, entre à l'hôpital d'Uro, sur l'Ile des Pins, en Nouvelle-Calédonie le 9 octobre 1876. Il y meurt à onze heures du matin, le 21 octobre 1876, «des suites de gangrène pulmonaire», selon le certificat de décès délivré par le médecin major de l’hôpital. Il sera enterré dans le cimetière des déportés, la «6ème commune», comme l’appellent les déportés, dans la tombe n° 145, après une cérémonie religieuse, par le père Janin, l’aumônier de l’île des Pins le 28 octobre 1876. Les obsèques étaient souvent l'occasion d'un rassemblement assez important de déportés qui rendaient un dernier hommage à l'un des leurs. On retrouve son nom sur la plaque commémorative placée au pied du monument à la mémoire des déportés morts à l'Île des Pins dans le cimetière d'Uro.
Petit rappel historique : Le britannique James Cook découvre et baptise la Nouvelle-Calédonie en septembre 1774. En 1841, les Pères Maristes installent une mission en Nouvelle-Calédonie et commencent l’évangélisation des Kanaks. La loi du 8 juin 1850, prévoyait Nuka-Hiva, une des îles Marquises, pour l’exil des déportés politiques, car très éloignée de tout continent, garantie contre l’évasion. Elle avait en outre de nombreuses vallées dépeuplées, avantage quant à l’expropriation des populations autochtones. Le 24 septembre 1853, le contre-amiral Febvrier-Despointes, sur les ordres de Napoléon III, prend officiellement possession de la Nouvelle-Calédonie au nom de la France. En mars 1862, le capitaine de Vaisseau Charles GUILLAIN est nommé gouverneur de la Nouvelle-Calédonie. Par décret en date du 2 septembre 1863, Napoléon III désigne la Nouvelle-Calédonie comme lieu de Transportation. Le 9 mai 1864, arrive en rade de Nouméa l'Iphigénie, premier convoi de 250 transportés. Du 21 au 28 mai 1871 à Paris, la « semaine sanglante » mais fin de façon tragique à la Commune avec le massacre de 300 insurgés à la Madeleine, 700 au Panthéon, puis au cimetière du Père Lachaise, où 147 communards sont fusillés au mur des Fédérés le 28 mai. Le 23 mars 1872, l’Assemblée Nationale, siégeant à Versailles, vote à l’unanimité la loi sur la déportation. Le 5 mai 1872, la Danaé quitte le port de Rochefort (17) avec à son bord le premier convoi de déportés. Le 4 octobre 1872 arrivée à l'Ile des Pins du premier convoi de déportés, après 153 jours de mer. En avril 1873, l’Assemblée crée une commission dite « des Grâces ». En mars 1879, le maréchal de Mac Mahon démissionne. Il avait cependant été obligé de prononcer 2245 grâces individuelles, dont 1164 concernaient des déportés simples. Cette nouvelle mettra trois mois pour arriver en Nouvelle-Calédonie et permettre la publication de la liste au « Moniteur ». Le
3
mars
1879, première loi d’amnistie, partielle
celle-là, concernant 1359 déportés
simples au total.
Lexique : Bagne : de l’italien bagno bain. A Livourne, les prisonniers étaient détenus dans des caves situées au-dessous du niveau de la mer. Déportation : La loi de 1810 sur la déportation prévoyait que la condamnation à la déportation consistait « à être transporté et à demeurer à perpétuité dans un lieu déterminé par la loi, hors du territoire continental de la République ». C’était une condamnation d’ordre politique, où le déporté n’est pas soumis aux travaux forcés mais sa peine reste infamante. La punition d’exil est décidée par une loi, comme elle peut-être annulée par une autre loi qui accorde l’amnistie. De retour en France, le déporté recouvre ses droits politiques. Déporté : terme appliqué aux condamnés politiques, jugés par des Conseils de Guerre (loi du 8 juin 1850). Transportation : condamnation de droit pénal. Les condamnés sont amenés sur un lieu de travail forcé. Leur peine est infamante. C’est le bagne. Ils perdent leur état-civil et vivent sous un numéro matricule. De retour en France, le transporté ne recouvre pas ses droits politiques. Transporté : terme appliqué aux auteurs de crimes, condamnés à la peine des travaux forcés par une Cour d’Assises (loi du 30 mai 1854). Relégation : condamnation de droit pénal appliquée en matière correctionnelle, à partir de 1885, aux délinquants récidivistes. Le condamné effectuait sa peine de prison en métropole, et était ensuite expédié en Nouvelle-Calédonie. Si le relégué avait les moyens de subvenir à ses besoins, la relégation était individuelle. Il lui était octroyé une concession, mais il avait obligation de résidence au lieu désigné. La relégation pouvait aussi être collective, ce qui ne différait que peu de la transportation (travaux forcés, vie en commun avec les autres condamnés dans les camps de relégation et sous surveillance). Relégué : terme appliqué, à partir de 1885, aux délinquants récidivistes, jugés et condamnés en correctionnelle (loi du 27 mai 1885). Colonisation pénale : Le transporté une fois arrivé, reçoit un costume, un numéro matricule et perd ses droits civiques. Lorsque la condamnation est de moins de 8 ans, au bout de la peine, on lui donne une propriété et il se retrouve agriculteur, éleveur. Ceci s’appelle une colonisation pénale. Lorsque la deuxième peine est finie, le condamné doit payer son voyage de retour. S’il ne peut pas payer il reste sur le territoire. Par contre, le gouvernement paye le voyage à la famille qui veut le rejoindre.
Comment retrouver
un condamné : Au CARAN, vous trouverez la série Colonies H concernant l’administration pénitentiaire coloniale. Vous y découvrirez les établissements pénitentiaires de Guyane et de Nouvelle-Calédonie, le pénitencier de la Réunion et le dépôt de l’île de Ré. On y trouve la correspondance administrative proprement dite, les matricules des prisonniers transportés, relégués, déportés, des états des malades, des dossiers individuels, des propositions de grâce, etc. Dans la série Colonie EE et EE II, se trouvent les dossiers du personnel pénitentiaire. Ces dossiers se trouvent aussi à Aix-en-Provence dans les mêmes séries. Attention : Le délai de 120 ans depuis la naissance de l’intéressé est de rigueur pour les dossiers juridiques et personnels (150 ans si le dossier contient des renseignements médicaux), mais il est possible d’obtenir des extraits des états de service en les demandant à la Section outre-mer. Pour les registres matricules, le délai est de 60 ans après le dernier enregistrement. Pour ce qui concerne les bagnes vous consulterez la série C 3991, 5429 et 5532. Pour les statistiques des bagnes voir la série F 20 1352. Dans la série F 7, les dossiers 12695 à 12698, 12704 et 12705, 12710 à 12713 et 12745 concernent les condamnés à la transportation et à la déportation, les grâces pour la période 1871-1885. Tous ces dossiers se trouvent aussi au CARAN. Pour les communards, consultez au CARAN les séries BB 24/729 à 869, BB 27/107 à 109 et 743. Ces dossiers contiennent les grâces et les fichiers des condamnés. On peut trouver certains dossiers dans la série F 7 ci-dessus citée. Au Service Historique de la défense, au Département de l’Armée de Terre à Vincennes, vous pouvez consulter les dossiers des communards condamnés par les tribunaux militaires, et au Département de la Marine, vous consulterez les cotes CC3 1481, 1479, 1480 et 2180 (cette dernière renfermant de nombreux documents sur l’évasion de Rochefort, sur l’expulsion de l’épouse du docteur Rastoul, et de nombreux rapports sur la correspondance des déportés). Pour les déportés du Directoire (1796-1799) dont le dépôt se trouvait à l’île de Ré, vous trouverez les dossiers dans la série Colonies H 762, toujours au CARAN. Au Centre des Archives d'Outre-Mer (CAOM) à Aix-en- Provence (13) on consultera la série H Colonies, avec notamment, des dossiers de déportés en H 69 à 104 (attention, tous les dossiers ne sont pas déposés) et, dans la série H 30, les dossiers des navires. Le registre d’état civil de l’Île des Pins pour les années 1873 à 1877 conservé au CAOM est non communicable, en raison de son état. Pour plus d’approfondissement, vous pouvez consulter le « Guide des Recherches sur l’histoire des familles » par Gildas Bernard, pages 266 à 299. Ce chapitre concerne toutes les archives d’Outre-Mer, et le livre de Roger Pérennès « Déportés et forçats de la Commune : de Belleville à Nouméa », édition Université inter-âges de Nantes en 1991.Annexes
Code Pénal de 1810 Article 15 : Les hommes condamnés aux travaux forcés seront employés aux travaux les plus pénibles ; ils traîneront à leurs pieds un boulet, ou seront attachés deux à deux avec une chaîne lorsque la nature du travail auquel ils seront soumis le permettra. Article 19 : La condamnation aux travaux forcés à temps sera prononcée pour cinq ans au moins et pour vingt ans au plus. Article 17 : La peine de la déportation consistera à être transporté et à demeurer à perpétuité dans un lieu déterminé par le gouvernement, hors du territoire continental de l’empire. Si le déporté rentre sur le territoire de l’empire, il sera, sur la seule preuve de son identité, condamné aux travaux forcés à perpétuité. Le déporté qui ne sera pas rentré sur le territoire de l’empire, mais qui sera saisi dans les pays occupés par les armées françaises, sera reconduit dans les lieux de sa déportation.
Loi sur la déportation du 8 juin 1850 Article premier : "Dans tous les cas où la peine de mort est abolie par l’article 5 de la Constitution, cette peine est remplacée par celle de la déportation dans une enceinte fortifiée, désignée par la loi, hors du territoire continental de la République. Les déportés y jouiront de toute la liberté compatible avec la nécessité d’assurer la garde de leurs personnes. Ils seront soumis à un régime de police et de surveillance déterminé par un règlement d’administration publique." Article 2 : "En cas de déclaration de circonstances atténuantes, si la peine prononcée par la loi est celle de la déportation dans une enceinte fortifiée, les juges appliqueront celle de la déportation simple ou de la détention ; mais dans les cas prévus par les articles 86, 96 et 97 du Code pénal, la peine de déportation simple sera seule appliquée." Article 3 : "En aucun cas la condamnation à la déportation n’emporte la mort civile : elle entraîne la dégradation civique. De plus tant qu’une loi nouvelle n’aura pas statué sur les effets civils des peines perpétuelles, les déportés seront en interdiction légale, conformément aux articles 29 et 31 du Code pénal. Néanmoins hors les cas de la déportation dans une enceinte fortifiée, les condamnés auront l’exercice des droits civils dans le lieu de déportation. Il pourra leur être remis, avec l’autorisation du Gouvernement, tout ou partie de leurs biens. Sauf l’effet de cette remise, les actes par eux faits dans le lieu de déportation ne pourront engager ni affecter les biens qu’ils possédaient au jour de leur condamnation, ni ceux qui leur seront échus par succession ou donation." Article 4 : "La vallée de Vaitahau, aux îles Marquises, est déclarée lieu de déportation pour l’application de l’article premier de la présente loi." Article 5 : "L’île de Nuka-Hiva, l’une des Marquises, est déclarée lieu de déportation pour l’exécution de l’article 17 du Code pénal." Article 6 : "Le gouvernement déterminera les moyens de travail qui seront donnés aux condamnés, s’ils le demandent. Il pourvoira à l’entretien des déportés qui ne subviendraient pas à cette dépense par leurs propres ressources." Article 7 : "Dans le cas où les lieux établis pour la déportation viendraient à être changés par la loi, les déportés seraient transférés des anciens lieux de déportation vers les nouveaux." Article 8 : "La présente loi n’est applicable qu’aux crimes commis postérieurement à sa promulgation."
Décret impérial du 2 septembre 1863, qui autorise la création en Nouvelle-Calédonie d’établissements pour l’exécution de la peine des travaux forcés Napoléon par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français, À tous présents et à venir, Salut, Vu l’article 1° de la loi du 30 mai 1854 ; Sur le rapport de notre Ministre secrétaire d’État du département de la marine et des colonies, avons décrété et décrétons ce qui suit : Article premier : "Il pourra être créé sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie des établissements pour l’exécution de la peine des travaux forcés." Article deux : "Sont rendus exécutoires dans cette colonie les dispositions de la loi du 30 mai 1854 et du décret du 29 août 1855." Article trois : "Notre Ministre secrétaire d’État au département de la marine et des colonies et au département de la guerre, est chargé de l’exécution du présent décret qui sera inséré au Bulletin des lois." Fait au palais de Saint-Cloud, le 2 septembre 1863. Signé Napoléon. Par l’Empereur, L’Amiral, Ministre secrétaire d’État de la Marine et des colonies, comte Chasseloup-Laubat. Sources : -- Dossiers des Communards au
Service Historique
de la Défense au Fort de Vincennes (94), et notamment le
dossier n°
208 du 4ème conseil de Guerre pour Augustin Lambré et série Ly. Crédits photographiques : -- Dossiers des
déportés au Centre des Archives
d’Outre-Mer à Aix-en-Provence (13), série H 69
à 104, dossier H 87 / Lambré
(archives dossier Augustin Lambré numérisées par
Bernard Guinard). |
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